Les vieilles coques
LES VIEILLES COQUES
Ils furent la fierté, l’orgueil des équipages
Qui, ostensiblement, portaient sur leurs bâchis
Leurs noms prestigieux, sonnant comme un hommage
Aux héros de l’Histoire de notre beau Pays.
Maintenant ils sont là, au milieu d’une darse,
Abandonnés de tous, silencieux et déserts,
Rongés jusqu’au bordage par la rouille vorace,
Amarrés à des coffres par de vieilles aussières.
Ils ne connaîtront plus le bruit des cavalcades
Des marins appelés à leurs rassemblements,
Pas plus qu’ils n’entendront les curieuses aubades
Du clairon ponctuant les divers mouvements.
On les a dépouillés de tout leur armement
Enlevés les canons et rampes de missiles,
Et de la passerelle aussi les instruments
Ont été débarqués, devenus inutiles.
Désormais ils ne servent qu’à percher les oiseaux,
Mouettes et cormorans, dans les superstructures
Prennent toutes leurs aises, souillant de leur guano
Les ponts, les plates-formes, de leurs éclaboussures.
Les seuls bruits qu’on entend dans ces ultimes coques,
C’est le sifflet du vent, les tôles qui gémissent
De lugubres chansons dans de lugubres loques,
Les plaintes de bateaux prêts pour le sacrifice.
Je les ai contemplés pendant un très long temps,
Les imaginant neufs et tout frais de peinture,
Fendant les océans, pavillons aux haubans,
L’équipage à la bande jusque dans la mature.
Et j’ai été saisi d’une infinie tristesse.
Quand on casse un bateau, on détruit un passé
De généreux marins au fort de leur jeunesse
Auxquels ne restent plus que leurs yeux pour pleurer.
Est-ce bien le destin d’un navire de guerre
De terminer sa vie à l’état de ferraille ?
N’eut-il pas préféré, navigant sur les mers,
Couler pavillon haut au cours d’une bataille ?
Bernard MALTER
14 Décembre 2002
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